Mon histoire (par Anne-Sophie)

Dernière mise à jour faite le 28 janvier 2004


Je naquis dans un chou-fleur le jour de la lune, d'un mois d'hiver de fin d'année, en plein milieu de la décennie des années 60, le matin à 9h30, donc en retard pour aller au travail, et cela n'a pas changé depuis. Or ce jour de novembre, ma mère, qui depuis 9 mois où plus espérait une fille, constate avec désespoir et frustration que manque de pot elle a accouché d'un garçon. Maman a toujours voulu des filles, seulement Dame Nature fantaisiste et capricieuse lui joua un de ses tours, si bien qu'elle eut deux garçons au lieu d'avoir deux filles, donc tout était à refaire. "Que pourrais-je bien faire pour avoir des filles ?" devait-elle se dire.

Comme elle ne voulait pas de garçons, c'est-à-dire mon frère aîné de 14 mois et moi-même, maman eut la riche idée de nous abandonner. Mon frère était déjà mis en pension dans un foyer, il ne restait plus que moi. Sa première tentative d'abandon fut dans une pouponnière d'où quelques mois plus tard, sans doute prise de remords, elle fit tout ce qu'elle put pour me récupérer.

Mes premières années passèrent sans trop de difficultés, mis à part qu'à l'âge de 5 ans, je connus ma première visite chez un psy (si, si) : ma mère ne devait pas me trouver normal, et les gens pas normaux, on les emmène chez le psy. Être normal, ça veut dire faire partie de la majorité de gens stupides et imbéciles qui composent la norme et qui se rassurent entre eux parce qu'ils sont les plus nombreux.

Vers l'âge de 7-8 ans à peu près, commencent mes premières crises de travestissement. J'allais voir dans les affaires de maman, essayer ce qui pouvait m'aller. Tout cela discrètement bien entendu. Tout se passa bien dans le meilleur des mondes, comme on dit.

Malheureusement cela ne dura pas longtemps, ma descente aux enfers commença. Mon père sombra dans l'alcoolisme, il fut interné dans un asile psychiatrique, ce qui entraîna la séparation de corps et le divorce de mes parents. Ce qui ne m'empêchait nullement de continuer ma pratique. Vers l'âge de 7-8 ans toujours, ma mère me changea d'établissement scolaire pour me mettre dans une école religieuse catholique traditionnelle appelée 'Institution de jeunes filles' et dirigée par des religieuses et quelques vieilles filles laïques. Le seul but de ces écoles c'est de vous imposer une certaine culpabilité si vous n'obéissez pas à un certain ordre social : le leur. Ne voulant pas risquer une excommunication, il valait mieux ne rien dire, et surtout ne rien faire qui pût éveiller les soupçons.

Ma mère n'a jamais accepté que je me travestisse, mais au fond d'elle-même elle le souhaitait, elle voulait même que je change de sexe et voulait me faire opérer. C'est ce qui s'est passé dans un hôpital, où je me trouvais pour une opération subie suite à une malformation congénitale. Maman voulait que l'opération se fasse de suite sans me demander mon avis. Les médecins et chirurgiens ont refusé tout net, j'avais 12 ans.

Trois ans plus tard, en 1977, le soir du 6 avril, je rentre de chez mon père où je lui avais donné rendez-vous le lendemain pour déjeuner. C'était la dernière fois que je le voyais vivant. Le lendemain 7 avril sur les coups de 12 h, quand j'entre dans son appartement, je le trouve allongé sur son lit, les yeux et la bouche ouverts, il était mort. Au revoir papa, j'avais 12 ans. Bon n'entrons pas dans les détails, c'est assez dur comme ça.

De l'année 1977 jusqu'à l'année 1984, avec ça, on rajoute un an d'armée et un an de foyer de jeunes travailleurs. J'ai subi 8 ans de dictature d'internats et à peu près autant de psy. Je n'exagère pas : à chaque internat prison, j'en voyais au moins trois ou quatre. Essayez d'avoir une vie, ou tout au moins une envie de vous travestir, dans un milieu de garçons avec des éducatrices habillées comme des garçons, c'est dur. Mais voir des femmes habillées comme vous auriez aimé l'être alors que ça vous est interdit sous prétexte d'un soi-disant ordre social moral aussi stupide et imbécile qu'inutile, c'est vexant et rageant, et pourtant il faut bien continuer à vivre. Alors il ne reste qu'une chose à faire pour vivre sa vie : la clandestinité, et je me suis donc débrouillé comme j'ai pu pour pouvoir vivre cette vie secrète. J'allais me cacher pour assouvir ma double vie. Cela durait quelques minutes, parfois plus longtemps, mais il valait mieux ça que rien du tout.

Un jour ma mère découvrit mes vêtements féminins, ce fut un drame : non seulement elle jeta tout à la poubelle, mais en plus, les éducateurs, qui furent mis au courant, m'interdirent pendant un certain temps d'aller la voir, et en prime j'eus droit à un interrogatoire stalinien dans l'internat prison. Sans compter les insultes que j'ai subies de ma mère quand je suis retourné la voir, puisque la fatwa fut finalement levée à mon égard. Donc, tout est à refaire, merci maman. Dans ces moments-là, vous ne savez que faire, vous ne savez à qui en parler de peur de passer pour un fou, et de peur de vous faire traiter de malade mental par votre propre mère, si vous preniez le risque de lui en parler. Et toutes les semaines, j'avais droit à un interrogatoire par un ou plusieurs psy.

J'ai toujours continué de me travestir, j'ai aussi fait comme beaucoup de consœurs : vouloir arrêter et tout jeter à la poubelle. Peine perdue, car quand vous avez cette pratique, c'est de naissance, c'est à vie. Chassez le naturel, il revient au galop.

1999, le début de la renaissance de ma féminité. J'ai enfin trouvé une psychanalyste qui m'a compris et ne m'a pas considéré comme quelqu'un de mentalement malade. Au début, je pensais que j'étais débile, malade mental et pervers en pratiquant le travestissement, je me suis trompé. Ma psy m'a confirmé que je souffrais de dysphorie de genre et que j'étais transgenre. Pour me rassurer j'ai lu de Jung Dynamique de l'inconscient, ce qui m'a confirmé que je n'étais pas atteint d'une soi-disant maladie de perversion, comme on a bien voulu me le faire croire pendant tant d'années.

Je me suis mis à Internet, et comme beaucoup de gens, j'ai tapé le mot 'travestis' dans les moteurs de recherche. Et j'ai vu que je n'étais pas seul(e) au monde à vouloir vivre cette vie. J'ai mis trois ans à me comprendre et à m'accepter tel que je suis aujourd'hui. Je ne suis pas encore bien remis de toutes ces castrations de ma double vie, mais je sais que je suis sur la bonne route et je sais aussi qu'il me faudra encore bien du temps pour vivre cette vie féminine à plein temps.