Le témoignage d'Estelle (Centre)

Dernière mise à jour faite le 22 avril 2004


Il n'est pas facile pour moi de dévoiler mon passé, étant d'un naturel plutôt réservé... Néanmoins, je me suis décidée à affronter cette épreuve dans la perspective d'aider mes consœurs appelées à me suivre (bien que chacune d'entre nous ait son histoire propre) et de faire tomber les stéréotypes trop souvent employés lorsque l'on parle de transidentité...

Le début de ma vie fut très mouvementé, en effet, je naquis prématurément, avec 2 mois d'avance sur la date prévue, au cours du mois de juillet 1981 : avec un poids de 1.750 kilogrammes, un souffle au cœur et des canaux génitaux non terminés, je fus placée en réanimation néo-natale durant 2 mois avec une rupture totale avec ma mère (qui au passage a failli payer de sa vie lors de l'accouchement...).

Après avoir survécu à cette épreuve, je fus remise à mes parents avec une santé extrêmement fragile : j'ai dû subir plusieurs interventions chirurgicales notamment au niveau des organes génitaux (interventions liées à la non-fermeture des canaux que j'ai évoquée précédemment) et pour couronner le tout, j'ai eu de graves problèmes de psychomotricité. Heureusement, ma mère à tout donné pour que je puisse m'en sortir, en démarchant de nombreux médecins et en me surprotégeant, alors que mon père était plutôt absent. Ces efforts ont été payants et je lui en suis aujourd'hui totalement reconnaissante...

À l'école j'étais souvent mise à l'écart et chahutée par mes petits camarades de par mes difficultés psychomotrices. À la maison, bien que je jouais à des jeux masculins (il est vrai que je n'avais pas vraiment d'autre possibilité, compte tenu que mes parents bien évidemment ne m'ont jamais acheté de poupées), j'avais malgré tout une attirance troublante pour l'univers féminin et je m'imaginais souvent être une petite fille. Cette curiosité m'a donc conduite à emprunter les vêtements et chaussures de ma mère. J'éprouvais dans ces tissus un sentiment de bien-être. Ce scénario se reproduisait de plus en plus fréquemment, avec de plus en plus d'audace, avec des tentatives de maquillage. Je me souviens qu'un jour, en classe, je m'étais colorié les ongles avec un feutre rouge de manière à donner l'impression que je portais du vernis... j'étais alors âgée de 6 ans.

Puis, vers mes 8 ans, après avoir lu dans un livre éducatif que les seins des femmes produisaient du lait, je me suis mise à en boire beaucoup dans l'espoir de voir se développer ma poitrine... sans résultat bien entendu !

À la même époque, je fis la connaissance de la fille d'une amie à ma mère. Elle était un peu plus âgée que moi et déjà un brin coquine : en effet, elle me demanda de "lui faire l'amour" au cours d'un jeu qui consistait à lui introduire mon index dans son vagin. Après m'être exécutée, je lui demande de me faire la même chose (mais avec mon... anus !), mais en tout cas, je ne voulais pas qu'elle touche à mon pénis. C'est alors qu'elle m'a expliqué "qu'on ne pouvait pas faire la même chose à un garçon", ce qui me frustra terriblement.

Ma seconde expérience de la sexualité (et la dernière, à ce jour) eut lieu lorsque j'avais 10 ans. Cela s'est passé lors de ma première année de cure thermale (pour asthme). La rupture avec ma mère fut douloureuse à un tel point que j'ai passé une semaine et demie sur les trois que comptait mon séjour à pleurer en la réclamant. Venons-en au fait : Un soir, mon voisin de chambre me proposa de venir dans mon lit pour s'amuser (je vous laisse deviner à quoi...). J'ai accepté sa proposition à une seule condition, que je tienne le rôle de la fille !

Quelques jours seulement après cette aventure, une fille m'a proposé de me prêter une robe car elle trouvait mon attitude féminine (croisement des jambes, entre autres) ; par honte, je refusai, mais au fond de moi, je fus flattée de son attention.

Puis vint mon entrée au collège. C'est à partir de cette période de pré-adolescence que les choses se sont gâtées... J'ai commencé à manifester des angoisses sur le plan corporel notamment au niveau du bas-ventre et des parties génitales (douleurs psychosomatiques). Cet état a conduit mes parents à me conduire chez un psychiatre qui m'a suivi durant près d'un an. Lors d'une séance, j'ai failli lui avouer que j'aurais préféré être une fille, mais je me suis abstenue par crainte des conséquences d'une telle révélation.

En fait, la seule chose qui soulageait mes angoisses était de m'habiller avec les vêtements de ma mère, qui étaient à ma taille, lorsque je rentrais de cours et lorsque mes parents étaient absents. Pour éviter d'éveiller les soupçons sur ma personnalité profonde, je tâchais de faire 'le mec' aux yeux de mes camarades, mais malgré tout, j'étais toujours isolée, incapable de me faire des vrais amis.

Peu de temps après, ma puberté commença à se déclencher et ma dysphorie du genre devenait à partir de ce moment de plus en plus pesante : mon corps se masculinisait alors que ceux des filles prenaient des formes féminines, ce qui m'attirait (je sortis avec trois d'entre elles) mais qui me rendait également particulièrement malheureuse, j'aurais tellement aimé leur ressembler, pouvoir m'habiller comme elles, me maquiller... mais à l'évidence, cette vie tant souhaitée ne serait jamais la mienne : alors je commençais à essayer de me faire une raison en adoptant des attitudes allouées à la gent masculine... Cela n'a duré que quelques mois, puis je repris mes activités de travestissement en cachette (je ne me suis fait surprendre qu'une seule fois, lors d'une rentrée anticipée de mes parents). Puis, je repris espoir lors d'un cours de biologie en classe de quatrième, où j'appris que l'on pouvait féminiser un homme en lui administrant des estrogènes.

J'entre au lycée en 1997. Pas grand chose à dire si ce n'est que j'ai toujours des difficultés relationelles et que ma dysphorie s'est vraiment installée (jalousie envers les filles, travestisme 'solitaire', alors que je ne laissais rien transparaître).

J'obtins mon baccalauréat technologique (avec mention), en 2000, ce qui me permit d'entrer en section de BTS dans une autre ville, à une cinquantaine de kilomètres du domicile familial. Cette opportunité marqua un tournant majeur dans ma vie.

Je pus en effet me constituer une garde-robe féminine que je mettais lorsque j'étais seule chez moi, ce qui me permit de réellement prendre conscience qu'il fallait que j'assume cette donnée fondamentale de ma personnalité pour me sentir épanouie. C'est également à cette époque que mon apparence masculine me devenait vraiment insupportable. Je commence alors me laisser pousser les cheveux, je m'épile les sourcils, je commence à envisager des sorties en public vêtue en femme (de manière progressive mais avec la crainte du regard des autres). Parallèlement, je consulte un psychiatre pour pouvoir entamer ma transition et je fais un 'coming-out' épouvantable auprès de mes parents : en effet, à l'époque j'avais encore trop de lacunes sur la transidentité pour leur expliquer les choses clairement et justement, ne pouvant éviter les clichés du type 'grande folle' ou 'bois de Boulogne'. Le résultat est qu'ils ne m'accepteront jamais en tant que fille, et m'ont demandé de ne jamais apparaître en tant que telle devant eux, cependant ils acceptent toujours de me voir tant que je ne "modifie pas mon corps". Ce rejet m'a longtemps fait souffrir, mais j'ai appris à m'y faire avec le temps.

Je recueille par la suite une mine d'informations par le biais d'Internet (le site d'une association transgenre strasbourgeoise, Support Transgenre Strasbourg, a été très enrichissant). Je fais également la connaissance d'une autre transsexuée qui m'a beaucoup aidée notamment à affronter le regard des autres ; je la remercie de son aide.

Après l'obtention de mon BTS, l'an dernier, je décide de m'orienter en seconde année de DEUG d'Anglais, afin de me perfectionner dans cette langue. La promotion est majoritairement féminine, ce qui change de mes trois dernières années d'études. Cette constatation me pousse à relever un défit personnel : aller un cours en tant que fille ! J'expose au préalable ma situation à la scolarité de l'université, cela ne leur pose absolument aucun problème, d'autant que j'ai la chance d'avoir les traits androgynes. Pour la première fois de mon existence, j'ai enfin l'impression d'être moi-même !

Je retrouve par hasard une fille qui était dans ma classe au collège. Étant très ouverte d'esprit, je lui révèle ma transidentité. Elle fut extrêmement surprise mais depuis, elle semble être plus proche de moi qu'elle ne l'était auparavant.

Je dois prochainement entrer en contact avec une équipe pluridisciplinaire, pour pouvoir entamer ma transition (hormonothérapie et vaginoplastie), sans trop me faire d'illusions sur ce qu'elle me réserve, au vu des témoignages de personnes transgenre qui eurent affaire à elle.

Néanmoins, j'espère connaître ma seconde puberté prochainement...

À suivre...

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Mon site personnel : http://membres.lycos.fr/estellets