Ma première Marche des Fiertés (par Samantha Paul)

Dernière mise à jour faite le 25 juillet 2004


 

Joué-lès-Tours, le 25 juillet 2004 


Samantha, 12 juin 2004, ma première Marche des Fiertés !

 


« Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ... »
Jean Racine



C'est le moment incroyable et tant attendu !

Me voilà enfin rendue devant le char « Support Transgenre Strasbourg » aux couleurs chamarrées, les flancs agrémentés de ballons multicolores, et tapissés de slogans magnifiant la fierté transgenre. Quelques consoeurs prennent place sur le plateau du char piloté par la charmante Francine. Elles entament gracieusement quelques mouvements de danses, aux rythmes des sonos ajustant leurs derniers réglages. Transgenre MtF, FtM et sympathisants sont là, tous ensembles réunis pour vivre à l'unisson un moment unique. Mon coeur bat la chamade ! J'ai couru comme une dératée pour rejoindre à temps ce joyeux corso dans la plaisante ville de Strasbourg que je découvre, aux côtés de Patricia, Caroline et Estelle, trois jolies régionales de l'étape ... 

Mais surtout, il bat émotionnellement très fort car je me sais enfin au coeur de l'action pour la toute première fois de ma vie. Cette fois, je n'attendrai pas passivement le JT de 20 heures pour en suivre les quelques rares images d'un reportage bâclé et racoleur !

Après tant d'années d'incoercibles phobies, me voilà enfin auprès de mes consoeurs, filles de l'ombre et de la réclusion sociale. 

J'ai toujours très peur. La preuve, une photographe professionnelle pointe son appareil sur moi. J'oppose vivement ma main sur le viseur ! Séquelles d'une longue crainte obsessionnelle d'être 'reconnue', tandis que je suis justement venue ici pour revendiquer la 'reconnaissance' de ma différence ! J'en prends instantanément conscience, exprime mes regrets auprès de la Diane chasseresse d'images et l'invite à donner libre cours à son expression artistique, et réaliser peut-être le cliché de l'année ... ! (Smile) Par cette connivence à me laisser photographier, je viens de progresser un peu dans la quête de ma transition de l'ombre à la lumière !

Je ne puis à cet instant réprimer une pensée pour cette pénible et interminable irrésolution qui a précédé ma présence en ce lieu magique. 

Depuis tant et tant d'années, j'ai désespérément tergiversé, avant de conclure à cette heureuse solution, qui me libère enfin du douloureux carcan de l'irrationnelle appréhension.

Ma pénombre était tellement rassurante et elle m'accompagnait depuis si longtemps, que je m'en étais presque fait une compagne. J'ai pourtant bien avancé ces derniers mois dans ma démarche transidentitaire : coming-out auprès de mes amis intimes, mon voisinage, ma famille, mes collègues de travail ...

Depuis le 21 mars dernier je suis socialement reconnue au bureau, et je vis désormais mon nouveau statut de femme à plein temps. 

En dépit de ces exceptionnelles avancées, je reste encore un peu secrète. La clarté reste encore trop vive pour moi. La foule de surcroît me terrorise : je suis agoraphobe ! Autant d'excuses que je m'accorde volontiers pour différer, cette année encore, une envie d'exister que je persiste à toujours réprimer ...

Alors, je me demande encore quelle mouche m'a piquée lorsque ce vendredi 04 juin, j'ai confié timidement à mon amie Cornelia ma tentation de 'peut-être' la rejoindre près du char STS pour, moi aussi, exprimer ma fierté ! Son petit mot d'encouragement à venir participer à cette marche m'a renforcée dans mon extravagante velléité. Il me faut encore me motiver mentalement, je le sens bien ... mais c'est décidé, j'y vais ! Rien ne peut plus me faire changer d'avis, nonobstant mes réticences résiduelles.

Ce 11 juin, veille de ma première Marche des Fiertés, je quitte ma bonne ville de Tours. Les 750 kilomètres d'autoroute qui défilent et me rapprochent de Strasbourg sont les plus célestes qu'il m'ait été donné de parcourir, en dépit du trac qui commence à m'étreindre. C'est que je vais voir Cornelia pour la première fois ... Depuis le temps qu'on s'écrit, nous deux !!

Samedi 12 juin 2004. Il est 14h15. Le temps est clément. Alternativement, soleil et nuages s'invitent à la fête. C'est l'instant émouvant du départ de notre marche. J'y associe une symbolique forte en pensant à maman qui, de son nuage blanc, va peut-être enfin m'identifier telle que je suis vraiment ! 

Les pieds déjà un peu douloureux, encore un peu essoufflée, consécutivement à ma course à la ponctualité, j'interroge Cornelia, ma voisine ...
- « Dis-moi Coco, c'est loin l'arrivée ? » 
- « A quatre heures d'ici » me répond-elle en souriant ...
- « Que le ciel me vienne en aide ! » soliloqué-je.

Cornelia sait mes petits soucis récents. Attentive, elle me surveillera du coin de l'oeil tout au long du parcours.

Difficile néanmoins d'atténuer une anxiété latente, car la foule me fait peur et je crains les invectives toujours possibles de quelques excités, voire les désordres intempestifs. Je le jure, c'est la toute première fois que je m'approche de si près d'une foule ! Je lance un regard panoramique et imperceptiblement fiévreux autour de moi. Devant, de nombreux chars chamarrés et bruyants, entourés d'innombrables personnes parées pour beaucoup, de leurs plus beaux atours. Derrière, le même spectacle étonnant s'offre à mes yeux émerveillés ! Latéralement, énormément de spectateurs venus assister à ce théâtre ambulant, chatoyant et plein de jolies promesses. Ils sont apparemment souriants et avenants. Un public somme toute bon enfant. 

Proches de moi, Cornelia et mes copines. De quoi me tranquilliser décidément !

Tandis que progresse la colonne, de nombreuses personnes surgissent de toutes parts pour se joindre par grappes au cortège qui s'allonge à l'infini, me semble t-il.

Voilà deux heures que nous marchons dans les rues de la ville, aux rythmes festifs des sonos diffusant alternativement slogans et musique retentissante. Je me sens parfaitement intégrée à ce cortège. Je suis infiniment en symbiose avec cette quête de reconnaissance que véhicule tout ce petit monde défilant dignement. Ces personnes ne méritent pas cette inconcevable et méprisable vindicte sociale ! 

A présent, la fatigue n'a plus vraiment de prise sur moi. Je me laisse quasiment porter ... Je me sens tellement émancipée dans ma jupe et sur mes talons hauts ! Je m'emplis les poumons et le coeur de cet immense espoir que chacune de nous caresse, en faveur d'un mieux-être à venir dans une société plus évoluée, plus ouverte, plus généreuse ... Ce monde évolue mais il se doit de progresser encore dans cette voie. Toutes ces personnes mises au ban de la société sont étonnamment touchantes de solidarité et d'authenticité. Ensemble, elles avancent à coeur ouvert ... et délivrent un extraordinaire message d'amour. En retour, elles appellent de tous leurs voeux un peu de tolérance pour leur spécificité de genre, et de reconnaissance pour les êtres humains qu'elles se sentent, à l'instar du reste du monde supposé conforme à 'la norme sociale'. Quel plus beau credo que celui-là ? Chacune de ces personnes mérite bien de vivre sa vie librement, sans honte et sans crainte pour son intégrité physique et morale ! La diversité des genres devrait être reconnue comme un incontournable enrichissement de l'espèce humaine.

Près de mes consoeurs, je vis intensément dans l'émotion ces inoubliables heures de marche. Une immense émotion prenant éperdument la couleur du partage, de l'amour et de la fierté.

Une magnifique parade qui trouve son épilogue dans un sympathique brouhaha, Place de la Gare, où les associations Gays, Lesbiennes et Transgenre s'activent consciencieusement depuis leurs stands respectifs, à renseigner les nombreuses personnes présentes, en quête d'éclaircissements ou d'informations complémentaires.

Je suis franchement rompue. Comme nombre d'entre nous, je ne sens plus mes pieds ... malgré cela, mon esprit est ailleurs. Je suis venue seule à Strasbourg, mais celle qui occupe mes pensées m'a mentalement accompagnée tout au long de ce merveilleux parcours du coeur ... De tout mon être je me sens heureuse, et j'ai le sentiment profond d'avoir acquis quelque chose de rare. Quoi ? Je ne sais précisément l'expliciter. Un sentiment confus de n'être plus tout à fait la même personne qu'au départ de cette marche ... Sans doute, avec mes copines transgenre, venons-nous de conquérir bravement, auprès de plusieurs milliers de participants ... quelques années de visibilité, comme le dit si joliment Cornelia ! 

Ce rassemblement baptisé avec bonheur « Marche des Fiertés » porte merveilleusement bien son nom [note de Cornelia : en fait non, ça s'appelle « Marche de la Visibilité Homosexuelle, Bisexuelle et Transgenre », et ceci par choix :-) ... mais le résultat en est le même]. Je suis définitivement fière d'être ce que je suis. 

Soyons fières d'être ce que nous sommes !

Je suis convaincue qu'en étant chaque année plus nombreuses à renforcer notre visibilité, moins nous marginaliserons notre différence et plus nous la banaliserons au regard de l'autre. 

A mon instar, de nombreuses consoeurs transgenre diffèrent invariablement à l'année suivante leur hypothétique participation à une « Marche des Fiertés ».  Puissent-elles enfin ne plus hésiter à s'associer à une telle manifestation, qui leur donnera l'occasion de s'affirmer pleinement, pour peut-être un jour oser enfin mettre un terme à leur exclusion sociale. Alors, personnes transgenre MtF et FtM, si le coeur vous en dit l'an prochain, je vous encourage positivement à contacter votre association ou groupe transgenre ! 

Cornelia a su me tendre la main et tenir la mienne. Je serai tellement heureuse de rendre ce qu'elle m'a donné en faisant de même pour vous ! Et toutes mes adorables copines vous espèrent aussi ... ! Ensemble, plus nombreuses et fières ...

« Proud and Free ! »


Bisous à mes chères amies Strasbourgeoises et à toutes les personnes transgenre.


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